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Carnet de route : EGYPTE
A proximité de la frontière Libye-Egypte, dans les toilettes
Au début, c'est marrant ces lavabos avec un seau en dessous,
parce qu'il n'y a pas de tuyau d'évacuation. Ces robinets qui
pissent trois gouttes. L'eau qui est soit brûlante, soit glaciale
(Plus souvent glaciale. L'eau chaude, c'est pour les jours fastes).
Oui, c'est vrai, au début ça a son charme, les sanitaires
que j'aurais pu installer moi-même.
Mais là, ce soir, dans ce resto de Sidi Barrani, j'en ai marre.
Manque de lucidité ou utopisme naïf, j'avais
décidé qu'en Egypte, ce serait mieux. Et ben voilà.
Après avoir lavé mes trois paires de chaussettes (c'est un
peu dommage parce que demain, elles seront encore mouillées et j'en ai pas
d'autres) et mes trois tee-shirts (idem, mais tant pis, je laisserai celui
de la nuit), dans un lavabo tellement beigeâtre que je n'avais
même pas la satisfaction d'observer la crasse s'enfuir, ce soir
donc, je suis partie me changer aux toilettes.
En équilibre sur mes chaussures défaites, une fois le
pantalon et le cycliste enlevés, ce n'était pas très
pratique de mettre mon caleçon. Surtout que quand on voit
l'état des murs, on préfère ne pas s'y appuyer. Comme
il n'y a jamais de chasse d'eau, je vous épargne l'odeur. Mais
ça vous permettra de comprendre mon exaspération, quand j'ai
aperçu le portefeuille sur le point de s'échapper du
pantalon. Je crois que s'il était tombé, j'aurais
pleuré. Tout ça pour vous dire que la petite Isabelle qui
ne comprenait pas pourquoi des gens claquent 1000 balles dans une nuit
d'hôtel... comprend très bien maintenant.
Le pire, c'est qu'avec les dons de Thomas, Bati & Zwi, Francoise
& Benoit, Sophie & Titou, Poupoune & Alain, on peut se
l'offrir cet hôtel de luxe. D'un autre côté, à
Sidi Barrani, il n'y a pas d'hôtel tout court. Et ce "restaurant"
(tu parles) dans lequel je me change devait nous servir de dortoir.
Seulement, il est deux heures du matin et il ne désemplit pas,
contrairement à nos prévisions. On vient d'apprendre qu'il
restait ouvert toute la nuit. La télé Egyptienne à
120 décibels, ça m'aidera pas à dormir. Ce sera donc
la mosquée.
Bonne nouvelle tout de même, le moral est revenu. Après deux
semaines de fous rires avec Alice, j'ai retrouvé un Xavier sur un vélo à voile, ravi des moments partagés avec les Libyens.
Il a vécu des choses totalement différentes et nos récits respectifs nous ont rapprochés.
Car il faut bien le dire, on en était arrivé à (presque) se détester. Je doutais même du sens de ce voyage et mes grandes phrases de Zone Interdite me faisaient doucement ricaner. J'était surtout désespérée d'être d'une humeur de chien malgré l'hospitalité hallucinante vécue depuis deux mois.
Sur l'autoroute qui fend le désert, un gamin nous suit en
chantant, au galop sur son petit âne. Pieds nus, aucun harnachement, les
cheveux en bataille, il agite les bras dans tous les sens avant de
disparaître dans la rocaille. Lumière extraordinaire sur
180°, le ciel prend des teintes roses presque vulgaires.
Nuages violets du crépuscule.
Avec Xavier, nous demandons l'hospitalité dans une ferme digne des temps bibliques. Pas d'électricité ni d'eau courante, mais des hommes beaux et fiers qui plantent leurs yeux dans notre ordinateur en riant de l'entendre chanter. Soudain, le
patriarche nous fait signe de tout ranger. Un grand barbu semblable aux
talibans afghans vient d'entrer. Les hommes discutent bruyamment et nous
oublient, ce qui est bien agréable, aussi... On sent cependant un
Islam dur, ici, plus encore qu'en Libye.
Xavier reste dans cette ferme une matinée de plus, RV à
Alexandrie, je prends de l'avance sur mon petit vélo. Avec Prodigy
volume maximum dans l'oreille, je me propulse à la vitesse
vertigineuse de 23 km/h, vent de face s'il-vous-plait.
Hameau au nom imprononçable, 2 décembre
Elles sont très gentilles, les dix filles et les deux femmes
d'Abdelmenem. Elles m'accompagnent toutes dans LE chiotte du hameau pour
que je puisse me laver tranquillement. Mais pourquoi restent-elles
là, agglutinées, en tendant la lampe à pétrole
vers moi au lieu de la poser par terre ? Ah, j'ai compris. Elles ne
veulent pas partir, trop heureuses d'observer comment une occidentale se
lave et fait pipi. Très agréable, comme situation.
"Mahaza ?" (qu'est-ce que c'est ?) Noura pointe son doigt vers moi. Qui
peut lui expliquer, en arabe, à quoi sert un tampon ? Elles ont du
me prendre pour une folle, mais je ne leur ai pas demandé de
regarder...
Leur maison se compose de cinq pièces vides (où mettent-ils
leur bordel ?). Chacune donne sur une cour de terre battue. Couleurs
très douces, les murs blancs ont été repeints par les
tempêtes de sable. Adossée à un mur, la charrette de
l'âne sert provisoirement de jouet pour les enfants. Dans la
pièce des femmes, je gonfle la petite mappemonde pour expliquer le
voyage. Visiblement, voir le globe terrestre n'évoque pas grand
chose pour elles, à part un joli ballon coloré. Cette
fois-ci, je le touche du doigt, le bout du monde.
Le seul qui "parle anglais" est un gamin de 10 ans. Enrhumé, il
me répète pendant des heures "by dabe is..." avec les noms
de toute la famille, qu'il pointe du doigt d'un air inspiré.
Dès que j'enchaîne deux mots d'arabe, le brouhaha se transforme en
silence pesant, puis chacun répète mes mots en hochant de la
tête. Même scénario si je parle français. J'en
déduis donc qu'il est inutile d'espérer entamer un
échange philosophique et déguste ces moments simples en
plantant mes mains dans le plat de riz familial.
Alexandrie
Une ville, une vrai ville ! Après-midi passée au
cinéma (ça fait du bien, même pour voir un navet) et
découverte d'Alexandrie dans la nuit noire. Xavier n'arrivera que
demain, il a laissé un message à l'hôtel.
J'erre, rêveuse, du côté des ruines, et pars
regarder si la gare ressemble aux nôtres. Il me faut un moment
avant de constater que je traverse une foule d'hommes bruyants. Je veux
dire, une vraie foule, partout, partout, partout et pas une seule femme
dans tout ce monde. Qui plus est, je suis la seule à marcher dans
ma direction. En amont de ce fleuve masculin, l'agitation, les drapeaux,
les ballons et toujours ces centaines de silhouettes gesticulantes, qui me
lancent des "welcome" triomphaux lorsque mon regard croise les leurs. Un
quadragénaire frisé m'explique "Cora, cora, itnin zifr".
Comme je suis très maligne, je comprends qu'il s'agit de foot, 2
à 0 précisément. Je marche à rebrousse-poil
jusqu'à ce que la rue soit vide... et me retourne pour fêter
la grandeur des Zamalek, histoire de retrouver les sensations de la Coupe
du monde. La foule s'est dissipée. Remplacée par les
marchands clandestins. Pour appâter le chaland, les vendeurs de miroirs
claquent des mains et se dandinent en chantant. Et ça marche !
Les badauds se pressent en tâtant la camelote et en sortant le
porte-monnaie.
Gavée de clémentines à 1 F le kilo, je rejoins le
marché couvert. Les ampoules pendent sur les poissons. Quand cela
pue vraiment trop fort, on a atteint le quartier des bouchers. Un bon
vieux transistor crachote Michael Jackson. La foule, de nouveau, mais
dans les deux sens et beaucoup plus voilée. Les versets du Coran
s'échappent des régimes de bananes. Cette voix nasillarde
et monocorde des muezzins ne provoque décidément toujours pas
d'émotion chez l'agnostique que je suis. A part la satisfaction
d'être là, en ce moment, ici très précisément.
Pour moi, c'est le BONHEUR. Je ne le prétends pas universel, ce
bonheur là, mais flâner les mains dans les poches à
Alexandrie, flâner en tentant d'imaginer la vie de ceux qui
m'entourent et ceux qui vivaient là il y a 23 siècles,
cela me fait passer le temps de manière bien agréable.
Avec tout cela, je me suis perdue. Pas très grave, c'était
bien le but. Mais devant la mine catastrophée d'un passant à
qui je demande mon chemin, je comprends qu'il vaut mieux rentrer en taxi.
Celui-ci frôle les étals et les culs des marcheurs avant de
s'aventurer à contresens dans les ronds-points. Comment ai-je pu
arriver vivante si facilement, à bicyclette ?
Alexandrie, ville aux klaxons chantants. Des "pouts pouts" discrets aux
"BIIP BIIIIIIIIP" stridents, toute une gamme de "POUEEEEETTTT"et des
arpèges de "pilouliloulilouliloulilou". J'allais oublier le
"clip clop" des charrettes tirées par des étalons
faméliques et inconscients.
Voilà mon hôtel. Je monte dans l'ascenseur en grimpant sur
une chaise (il s'arrête à un mètre du sol). Appuie
sur le 10, seul bouton rescapé avec le 9 et le 4. J'ai enfin ma
salle de bain, avec douche et baignoire (BAIGNOIRE !) mais ce soir "I am
sorry, madam, no water in all the building. Not my fault. If you want, I
give you two glasses of water." J'adore l'Egypte.
Le Caire
Tout a l'heure, le muezzin a annoncé
le lever du soleil et le début du jeûne. Après
s'être éveillé pour manger, Le Caire s'est rendormi.
Moi, je n'ai pas réussi à fermer l'oeil. J'ai encore dans
la tête le tournis des derviches qui nous ont fait vibrer cette nuit,
au Palais du Sultan El-Ghouri.
Depuis trois jours, ça n'arrête pas. Chaque soir nous apporte une
ration de musiques envoûtantes. Bien qu'incapable de comprendre quoi
que ce soit à la musique, j'ai découvert un truc : le
"quart de ton" oriental essore l'âme. Il offre une gamme de
complaintes, à la fois déchirantes et pleines d'orgueil.
La semaine dernière, nous sommes arrivés au Caire sans
un seul contact musical fiable. En d'autre mots, chargés d'une
pléthore de numéros de téléphone foireux.
Depuis 2400 km, nous n'avions pas enregistré une seule musique,
ça commençait à être génant "rapport
au thème du voyage" comme dirait Alice.
A l'opéra, on s'accroche à une info lancée parmi
d'autres : "ce soir, le violoniste Abdou Dagher donne un concert
exceptionnel dans une maison mamelouke du XVIIIème." Bien entendu,
Abdou Daguer, ça n'évoque pas grand chose pour nous mais on y va
quand même (Ca doit être joli une maison mamelouke).
Et là, on oublie vite les moucharabiehs. En face de nous, un
maestro. Yeux fermés, gestes sûrs. Plongé dans son
monde, il exhale toute l'émotion qu'il ressent. Musique fluide,
pas une microseconde d'hésitation dans les pleurs du violon, les
rires des percussions, l'envolée des archets, le récit du
ney... Abdou Dagher a composé son premier morceau a 11 ans.
Analphabète et autodidacte, il intègre la troupe d'Oum
Kalthoum en 1958. Oui, Oum Kalthoum, la plus grande diva que l'Orient
ait jamais connue. Dagher joue ensuite avec la Troupe officielle égyptienne
avant d'en être évincé pour de sombres histoires de
conflits de pouvoir. Pour gagner sa vie, il fabrique des luths, jusqu'a ce
qu'en 92, un musicien allemand venu lui acheter un oud redécouvre
son talent... et lui organise des tournées en Europe. Depuis, les
académies musicales de Berlin, Stuttgart et Hannovre ont
créé des ateliers musicaux Abdou Dagher. Un critique hollandais
l'a proclamé "réincarnation orientale de Bach". Dans sa petite
maison cairote, où il nous a invités avant-hier soir,
les
musiciens défilent jusqu'à trois heures du matin,
tous les jours, pour bénéficier des conseils du maître.
Nous sommes
restés jusqu'au bout pour nous rincer l'oreille, épatés
par le talent et l'humilité de ce sexagénaire inspiré.
"Si Dieu m'accordait un million d'années à vivre, mon
instrument me donnerait toujours de nouvelles choses."
Oh la la, il est 9 h du matin,
Xav' et Hélène dorment toujours et je me rends compte que
je n'ai pas dit le 1/4 du 10ème. Bon, d'abord, Hélène
c'est ma soeur chérie qui nous a rejoints 15 jours, du Caire à
Amman. Epuisée par le stress parisien, elle rêve des plages de la Mer
Rouge et des petits arrêts de 2-3 jours dans la vallée du Nil.
"Et Ras Mohammed, c'est magnifique, et le mont Sainte-Catherine, faut pas le
louper, et puis si c'est possible, j'aimerais bien ne pas passer mes deux
semaines de vacances à pédaler, on va quand même se
prendre des jours de farniente, hein, Xav'..." Xav' est ingénieur.
Il calcule. 1700 km à faire en moins de quinze jours si on veut
passer l'an 2000 à Pétra. En 5 mois, on en a tout juste fait
6500 km. Hélène bosse dans la pub. Elle a les arguments.
"(...) de toutes les façons, je ne vois pas ce qu'il y a de honteux à
mettre les vélos dans un camion. Si vous voulez, je ne le dirai à personne."
Bref, on est bien partis. En tout cas, pour l'instant, je trouve ça drôle.
Bon revenons à la musique. Ce texte est aussi organisé que
la circulation du Caire. Ça part dans tous les sens, on voit que j'ai fait une
école de journalisme. A vrai dire, je m'en fous car depuis Alexandrie,
j'ai définitivement décidé d'être photographe et
non plus rédactrice.
Revenons à nos violons. Nous avons aussi rencontré
Aladin Abbas, un jeune compositeur de 26 ans, disciple d'Abdou Dagher.
Trois nuits à discuter avec lui jusqu'à 4 heures du matin. Aladin
enseigne son art dans un institut privé et se désole de voir à
quel point la musique traditionnelle égyptienne est délaissée par...
les Egyptiens. "Vous vous rendez compte, Abdou Dagher est acclamé en
Allemagne mais ici, presque personne ne le connaît. Tous les musiciens se tournent
vers la pop music pour des succès éphémères et
pécuniers. Ce pays perd son âme musicale..." Aladin nous a fait
écouter ses créations et nous vous offrons
deux versions de sa
"Vie" comme cadeau de Noël, à télécharger sur le site.
Notre version préférée déroule un dialogue entre son
luth et son ex-petite amie,
une garce parait-il, mais avec une voix
à tomber par terre ; ça vaut vraiment le
téléchargement.
BON, HELENE ET XAVIER, DEBOUT ! IL EST 10h15 ! et il nous
reste 1700 km à faire en 13 jours...
J'allais oublier, JOYEUX NOEL et BONNE ANNEE ! Si vous préparez vos
gueules de bois, merci de ne pas nous le dire, nous qui n'avons que deux
misérables bouteilles de vin à ballotter dans nos
sacoches. Quelle vie, tout de même...
A vous tous et toutes, voyageurs, baroudeurs et
aventuriers virtuels qui suivez les pas de nos Paris-Pekinois à
chacune de leur étape internaute...
Vous tous et toutes... j'étais des vôtres il y a un mois
encore.
Aujourd'hui, je me fais témoin et victime ravie de ces
aventures. Comme l'ordinateur est en panne, c'est moi
Hélène, la soeur d'Isabelle, qui suis chargée de les
narrer.
Je vous entraîne au Caire, où ils étaient
installés depuis quelques jours dans l'énorme appartement
prêté par Hana et Amr El Samra, adorable famille
égyptienne qui nous a accueillis les bras ouverts. Je ne parlerai
pas de la musique, ce qu'ils font très bien, mais de ce qu'il y a
derrière. Car il s'en passe des choses, derrière.
Organisés, ils le sont : chacun a son rôle. Ils
s'activent comme des fous, et fatiguée pour eux, je
témoigne : Zabou à la photo/vidéo, Xav' au
son/vidéo, ils n'hésitent pas à s'engager dans
1000 rendez-vous qu'ils respecteront, Dieu seul sait comment !
Samedi 18 décembre, j'atterris.
23h00, nous sommes dans le Souk.
Bain de Foule, de cris, d'odeurs, de poussière et de couleurs, 5
heures après avoir quitté Paris, je me retrouve au bout du
Monde. Quelle magie ! en période de Ramadan, il règne
dans la ville une activité nocturne qui ne s'arrêtera que
très tard dans la nuit - ou tôt le matin. Emerveillée
par ce foutoir organisé, je suis Isabelle, déjà chez
elle, avec un fallafel dégoulinant dans les mains. Nous nous
perdons dans un dédale de rues poussiéreuses et sales,
régulièrement arrêtées par des salem alekoums
et des welcome souriants. Il est 1h30 du matin. Le Souk ne désemplit
pas. Nos pas nous mènent jusqu'à Okel El-Ghouri, où a
lieu le concert Soufi dont Isabelle parle dans le précédent
mail. Vous y aviez également goûté les rencontres avec Alla
el Din, Abdu Dagher & Co. 4 jours au Caire, 4 jours de rendez-vous,
de notes à restituer, d'images vidéos à notifier,
de photos à identifier, de sacoches à vérifier, de
coups de téléphone à passer, de mails urgents
à envoyer, de derniers trucs à bricoler...
21 décembre
La journée commence par le tic-tic régulier que fait
Isabelle en finissant au petit matin le mail précédent.
Elle s'endort lorsque Xav' prend la relève, en continuant les
derushs des prises de caméra, ce qui demande un temps fou...
Lâchement, je m'enfuis visiter le riche "museum of Cairo",
et reviens 4 heures plus tard retrouver nos deux zouaves. Isabelle se
réveille à peine de sa courte nuit, satisfaite de l'avoir
sacrifiée pour vous. Xav' fabrique un trépied pour le micro,
avec 2 ficelles, du scotch et des cintres. Nous partons à Giza
( où sont les pyramides, à 25 kms du centre), d'où
nous expédierons les pellicules photo, soigneusement triées et
répertoriées cette nuit. Nouvelle course car il faut y
être tôt. Ce qui nous permet ensuite d'aller voir le coucher
du soleil sur les hallucinantes - il faut l'avouer - pyramides. Flûtes -
plastiques- de Champagne, pour fêter notre clandestinité sur
le site payant, à cette heure où commence le superbe son et
lumière qui donne au sphinx cette couleur verte - puis violette -
puis rose - d'un goût charmant ! Retour au Caire,
épuisés.
Mercredi 22 décembre, midi.
Bagages savamment rangés, les sacoches regorgeant de poches qu'il
faut savoir organiser, nous quittons le Caire et décidons de longer
le Nil. 85 kms sur un highway poussiéreux et dangereux. Nous
nous arrêtons dans la nuit noire, par hasard à Rikka. Un
vieux monsieur nous aborde et nous invite à prendre le thé.
Nous sommes confortablement installés dans la salle principale, une
pièce bleu pâle, avec un sol en terre battue et un vieux tapis
usé sur lequel une table est rapidement dressée. En fait de
thé, c'est un festin ! Une succession de plats que nous avalons
goulûment devant le regard curieux et rieur d'une trentaine
d'enfants régulièrement chassés.
"Amdulillah" : On a très très très -
très - bien mangé. J'arrive à le glisser, la bouche
enfin vide, à notre hôte qui nous tend encore les plats.
Isabelle et Xav' maîtrisent avec habilité un arabe de survie
et de conversation qui leur permet de communiquer. Je me contente du
langage des signes.
Le vieux monsieur nous mène ensuite au travers de la ville, vers un
bâtiment administratif, et nous fait attendre dans une grande
pièce sans doute cossue. Des dizaines d'enfants s'agrippent aux
fenêtres en riant, à peine intimidés par les
kalachnikovs des gardes, qui tentent en vain de les éloigner.
Arrivent alors 6 personnes, sûrement des notables, vu le respect qu'on leur rend.
A ma gauche, un gros et gras monsieur m'indique
qu'avant d'être "chief of the village", il était
colonel. Il nous invite à nous faire connaître de la Police
à chaque ville où nous nous arrêtons avant le Sinaï : "for your security only".
"For your security only" résonnera 4 jours durant. Le
matin, nous quittons Rikka, répondant en criant aux goodbye et aux
welcome back, pour la pyramide de Meïdoum : "Un immense donjon
majestueux surgissant d'une colline de sable et dominant le
désert". De ces 8 étages originels, il n'en reste que 3.
Nous sommes seuls et entrons, stupéfaits, dans ces fameux longs
couloirs qui mènent à la chambre funéraire. En haut
de la pyramide : spectacle fabuleux de l'Egypte du Nil et de celle du
désert. Une ligne franche sépare nettement les sols
irrigués, avec leurs cultures d'un vert flamboyant, du
désert ocre, brûlant et inquiétant de profondeur.
"For your security only"... une voiture de police nous suit
dès que l'on quitte Meidoun. Nous essayons vainement de la semer
100 fois. De relais en relais, de course poursuite dans les villes aux
délations des enfants qui leur indiquent nos cachettes, nous
passons finalement la nuit au poste de police de Beni Suef. Les policiers
sont encore plus dépourvus que nous. Nous ne voulons pas de leur
protection, mais ils ont ordre de nous protéger, et les orders
sont les orders. Nous apprendrons plus tard que la région que nous
avons traversée est dangereuse, et que les touristes sont
sur-protégés et surveillés. Nous l'avions
remarqué, mais pauvres policiers que nous avons tant fait tourner
en bourrique !
Depuis le Caire, nos coups de pédale nous mènent au
hasard des villages qui suivent le Nil. L'accueil y est
désintéressé, chaleureux, et permet surtout
d'apprécier un véritable échange. Nous nous sentons
dans l'Egypte des pharaons, retrouvant les agriculteurs, leurs gestes et
les charrettes décrits sur les papyrus qui sont, au musée du
Caire, superbes. C'est dans un minibus surbooké que nous passons
Noël, pour vite rejoindre la côte Est. Course contre la montre,
nous voulons voir le Sinaï, avant de rejoindre la Jordanie.
Pétra plus précisément, où nous sommes
attendus... le 31.
Nous traversons la Mer Rouge pour le Sinaï, où nous
arrivons par la pointe sud, très touristique. Nous embrayons
immédiatement vers le mont moïse et le non moins fameux
monastère Sainte Catherine. Construit au 6ème siècle
au fin fond des montagnes, que nous traversons à bicycletteeeeeu.
Nous entamons cette route désertique juste après avoir
fêté Iftar (la rupture du jeune du Ramadan) avec les
gardes-frontière. Il fait nuit. Nous suivons la ligne blanche de la
route que nous discernons grâce à un ciel étoilé magnifique. La lune n'est pas encore sortie des cimes. 2h de vélo dans le noir où nous croisons à peine 3 voitures. Nous plantons notre tente au milieu de rien - ou de tout. De magnifiques et gigantesques montagnes se dessinent dans l'obscurité.
C'est dans cet endroit magique que nous décidons de fêter
Noël, un 27 décembre de l'an de grâce 99, en s'offrant
la bonne et lourde bouteille de Graves que je porte sur mon petit biclou
depuis 10 jours. Réveil en douceur, sous la caresse chaleureuse du
soleil qui prend son tour de garde dans un silence superbement lourd. Une
journée entière de vélo sur une route
irréellement belle. Désertique et montagneux, le Sinaï
s'offre à nous et 3 minuscules fourmis l'attaquent et suivent ses
courbes avec bonheur. C'est en pleine nuit que nous arrivons enfin au monastère (alt. : 1570 m.). Après un sommeil lourd, froid et bref, nous entamons l'ascension du mont moïse, et sommes largement récompensés. Le lever de soleil est à pleurer de bonheur. Après ce périple hors du temps, nous reprenons la route et la course pour honorer notre RV à Pétra.
Huit heures d'attente à Nuweiba, dans le port égyptien, à 10 m du bateau pour lequel personne ne peut, ou ne veut nous donner l'heure de départ. Vous conter notre exaspération serait trop long, mais vu d'un oeil extérieur, ça devait être drôle...
Le bateau est plein à craquer. De nombreux musulmans partent à la Mecque pour le pèlerinage. Nous aussi, nous finissons par embarquer. Enfin !