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Intégrale des musiques de l'Inde partie-1 (+ - 50 Mo),
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Pays suivant: la Mongolie, enfin ! ...
Carnet de route
Inde.
Des pots de fleurs biens alignés, des oiseaux bavards, une boîte aux lettres digne d'un village périgourdin... Et tout au fond, trois jolis petits pavillons éclatants de blancheur.
Voilà la frontière Indo-Pakistanaise.
Il y a même des gradins puisque chaque soir, les badauds viennent admirer le baisser de drapeau et la fermeture des portes. Après s'être gaussés, car en face, les frères ennemis ont une parade militaire tellement ridicule. Du côté indien, les gradins montent encore plus haut : la parade pakistanaise doit donc être encore plus risible.
La voilà donc, la frontière Indo-Pakistanaise. J'entends d'ici nos proches, réaffirmant il y a peu, au téléphone "Mes enfants chéris, vous êtes complètement fous, ils vont vous égorger et personne ne s'en rendra compte !!!"
Fleurs, oiseaux et pavillons proprets pour la frontière fatale. Dire qu'on nous prend pour des kamikazes...
Ne rions pas trop vite : une surprise étonnante me guette. En face de moi, le douanier persévère. Il répète et sourit. " Yes yes, madam... a French cyclist". Je vais traduire cet anglais tellement indien, il faut que tout le monde comprenne. " Oui, madam, il s'appelait Eric. il est passe à six heules du matin avec une Flench cyclist madam."
Depuis les pays arabes, Xavier s'appelle Eric. Il est 13h30. J'étais avec Eric il y a une demi-heure.
Soit je suis folle. Soit ce douanier, qui a une montre neuve ( et qui sait lire l'heure), se fout vraiment de ma gueule.
Soit Eric, c'est David Copperfield. Et j'ai le don d'ubiquité. Et j'ai fait un saut dans le temps.
Un peu tremblante, vus les pronostics, je demande à voir les registres. Ce dément (j'espère) sourit et m'ouvre le livre usé. En bas de page, daté d'aujourd'hui, j'y lis : "Eric et Violaine, France, 6h02, Passport number T?37?9190 et RF?4??87." Ouuuuuuuufff.Ca doit être d'autres Français, Eric n'est pas encore là. Le monde tourne rond.
Lorsque notre Eric arrive, je suis assise les pieds en éventail sur le bureau des douaniers, en train de siroter le soda qu'ils m'ont offert. Depuis, les "redoutables égorgeurs" s'amusent avec la poire de mon klaxon.
Eric-Xavier me croit sur parole. Oui oui, deux Français à vélo, Eric et Violaine, ici même, ce matin. Son ton de voix complaisant lorsqu'il me gratifie d'un "Tiens, c'est marrant comme coïncidence", son ton de voix complaisant, donc, m'inquiète. A-t-il si peur de me contredire ? Serais-je irascible ? Est-ce dû à notre récente engueulade ? Deux Français à vélo, lui aussi s'appelle Eric, ici même, ce matin. C'est tout de même incroyable...
Bon, j'accélère. A l'heure où j'écris, nous sommes à Pékin. Autant dire que j'ai du boulot. On la franchit donc, cette frontière. Un douanier insiste pour nous fouiller ferme. Comme son collègue ennemi, il abandonne au bout de 5 minutes. Il faudrait une journée entière, pour "fouiller ferme" nos 22 poches.
Vos deux aventuriers intrépides, chers parents, chers amis, chers frères et soeurs, viennent de franchir la frontière diabolique. Ils l'ont échappé belle. Autours d'eux, les oiseaux indiens gazouillent joyeusement. Dieu, c'est un miracle, vos têtes brûlées cyclistes sont vivantes.
Le tampon bureaucratique indien boit son encre sur nos passeports saturés.
Je sais que ce tampon bureaucratique est le premier d'une longue, d'une très longue série. Je sais que sous peu, nous serons assaillis en permanence et que très vite, c'est pénible. Je sais que nous mangerons encore des chapatis tous les jours, "parce que c'est pas cher et faut faire gaffe au budget". Je sais que j'en aurai marre des chapatis, j'en aurai marre des chiottes innommables, j'en aurai marre des tampons bureaucratiques... J'en aurai marre de... de... de...
Et Je souris bêtement. Je suis en INDE. C'est la troisième fois que ce sort m'est jeté. Troisième fois que je désire ce sortilège. Je suis en INDE.
Je regarde Eric avec un air godiche; émerveillée. Lui aussi semble heureux. Comme moi, il a adoré le Pakistan, il en ressent déjà une nostalgie douce, mais lui aussi sourit. Content d'être en inde.
On nous propose des bières très fraîches, "en vente libre... c'est dingue, des bières très fraîches par cette chaleur..." Mais il faut faire attention au budget et nous devons être à Amritsar avant le coucher du soleil. Pour faire des photos. Une fois de plus, c'est la course. Amritsar ce soir, Delhi dans cinq jours, la Mongolie début juillet. Il ne faut pas louper le Naadam d'été en Mongolie. Franchement ce serait ridicule. Des bières très fraîches en vente libre, c'est dingue. Le Naadam d'été, c'est incroyable. Dans nos têtes, le petit démon a perdu. Pas de bières très fraîches (c'est dingue, en vente libre). Pas de pause. Victimes des innombrables nids de poules, nos pneus avancent sans glisser.
La circulation s'épaissit, l'atmosphère s'assombrit. La pollution revient. Coucou me voilà dit-elle dans ses nuages opaques. Me revoili me revoilà.Ca pue et ça durera. Nous sommes en Inde.
Maud et Sybille nous l'ont recommandé, ce temple Sikh d'Amritsar. Le Temple d'or, leur lieu saint. Les Sikhs. Union inouïe de l'Islam et l'Hindouisme. Deux religions ennemies fusionnées pour 20 millions de fidèles en Inde (ils sont proscrits du Pakistan, malgré quelques rares temples en activité surveillée). Les Sikhs. Turbans flamboyants, poignards à la ceinture, fiers guerriers héréditaires. On m'a dit d'eux :
1. Qu'ils nous hébergeraient dans leur temple et qu'ils sont passionnants.
2. Qu'ils ont été les pires égorgeurs pendant les sanglants déplacements de population, en 1947. Lors de la partition de l'Inde après le départ des Anglais. Les trains de musulmans hachés au poignard en court de route, c'était eux. Mes amis musulmans me l'ont affirmé à de nombreuses reprises. Avouez, chers amis, que les trains d'Hindous n'étaient pas moins silencieux et éclaboussés de sang. "Oui mais c'est les Sikhs qui ont commencé".
J'arrête là ma digression, on suit plutôt les conseils de Sybille et Maud.
Face à l'immense complexe du Temple d'or d'Amritsar, deux Français viennent à notre rencontre. Eric et Violaine. Le douanier n'était pas fou, ils sont bien à bicyclette, eux aussi. Une longue, très longue conversation commence. Nous installons nos affaires près de leurs vélos dans le dortoir du Temple réservé aux étrangers.
Eric et Violaine sont passés par l'Europe de l'Est, mais aussi par "nos" pays. Le fleuve des mots triple son débit, c'est l'inondation. Tout en parlant, j'écarquille les yeux sur cet étrange spectacle sans artifice. Sur ces milliers d'Indiens partout; debout, couchés, assis. Ce réfectoire aux 30 000 repas gratuits servis par jour. Le Temple d'or, au loin, dans la zone sacrée. Tous ces Indiens qui s'endorment côte à côte, hommes et femmes sans distinctions. Et je vois même des hommes laver leur linge à côté de leur femmes. Les hommes savent laver leur linge ici ? Depuis huit mois, ils ne savent pas. Ils ont beau ne pas essayer, vraiment, ils ne savent pas aider leurs femmes. Elles sont bien plus fortes qu'eux en matière de corvées. Eric et Violaine aussi apprécient ce changement. Comme voir ces ravissantes jeunes femmes, radieuses sur leur scooter pourri, ces fleurs épanouies qui n'ont pas besoin de chaperon pour se déplacer. Décidément, après 8 mois de pays musulmans, je suis un peu aigrie. Mais ça nous fait du bien à tous les quatre de voir ces fleurs libres et pétaradantes.
Comment le dire. Il ne faut pas juger les cultures. Même si elles rendent les gens malheureux. Et nous cracherions dans la soupe en déversant notre bile. L'hospitalité musulmane nous a offert des trésors inoubliables.
Mais... il y a trop de mais. Trop de misogynie idiote, trop de frustrations, trop d'aberrations. Qui y perd le plus dans l'histoire ? Celui qui suit "l'unique voie", vertueux à n'importe quel prix, fut-il parfois injuste? Ou l'infidèle mécréant qui essaye de croire en l'égalité, en la fraternité et c'est con à dire, mais en la liberté aussi. Je sais, le slogan n'est pas neuf et j'avoue que j'ai copié. Et j'arrête là ma digression. Isabelle, fais court et sobre.
Sobrement, je m'avoue heureuse d'avoir quitté les pays musulmans.
Le Temple d'or mérite plus qu'une visite. Pour être honnête, il est en cuivre; mais ça brille pareil. Il faut quitter le flot des pèlerins devant les incrustations de pierres précieuses, sur le marbre blanc des murs. Surtout celles où les dragons crachent des bouquets de fleurs limite psychédéliques. Les détails sont sublimes. Le temple émerge d'un large bassin rectangulaire. Malgré une foule incessante, ce lieu exprime paix et calme. Nous en aurons besoin pour les jours qui vont suivre...
Violaine et Eric partent vers la haute montagne. Bravo à eux, je n'aurai pas le courage, à vélo. Ce sera peut-être pour plus tard, à moto. Qui sait ce que la vie nous réserve ?
Zéro pointé pour le contact avec les Sikhs : je n'ai pas pris le temps de discuter avec eux, trop passionnée par nos compatriotes cyclistes. Maintenant, c'est trop tard, il faut respecter notre calendrier. Avec Xavier, les aux-revoirs sont brefs. Un nouveau coup de sang venimeux laisse ses marques. "Rendez-vous jeudi à Delhi devant l'ambassade de France". Soit 500 km en quatre jours. Une fois de plus, c'est la course. Je suis d'une humeur de chien. Sous nourrie (marre des chapatis) et épuisée, je profite de ma solitude pour m'offrir une journée de vacance à Chandigarh. Mais le moral est bas. Fini l'INDE, je suis en inde. L'effet a disparu.
L'hospitalité musulmane aussi. Il ne reste plus que la curiosité fatigantes des grappes humaines qui encerclent le vélo dès qu'on pose un pied par terre. Ces adultes soudain rajeunis, qui s'amusent à dérégler les vitesses, à klaxonner, à toucher à tout, éventuellement à ouvrir les sacoches. Jamais une foule n'a autant fait ressortir ma solitude. Pas d'hôtels ni d'hôtes, il va encore falloir trouver 2 m2 improbables à l'abri des regards.
J'ai les larmes aux yeux. Encore exaspérée par Xavier, qui doit l'être autant que moi, je rumine tristement. Une phrase me harcèle : "Où est le sens d'un voyage aussi long, lorsqu'on s'entend si mal ?" Bien sûr, les disputes ne sont pas si fréquentes et quand je suis lucide, je savoure cette chance; je remercie la providence de m'avoir permis de voyager avec "Eric", alternant périodes à deux et périodes en solo. Combinaison idéale, évidente... quand je suis lucide. Mais là, à ce moment précis, je n'ai aucune envie d'être lucide. D'un autre côté, ce voyage nous plaît trop et je ne vois pas quels pays éliminer dans le programme que nous nous sommes fixé. J'ai surtout besoin de Bénarès. Je le sais. Je le sens.
Delhi.
Courir à l'ambassade de Mongolie, installer nos affaires chez Christophe, trouver les bons plans pour le vol Delhi-Oulan-Bator, préparer les textes du site Internet, se renseigner sur les musiques...
Je ne te serai jamais assez reconnaissante, Eric - Xavier, de m'avoir laissé partir avant toi pour Bénarès. Malgré les corvées administratives partagées inéquitablement, à ton désavantage. Merci de t'être occupé du billet d'avion et d'être resté seul dans Delhi-la-stressante. Toi qui, comme moi, était également épuisé par le manque d'hospitalité des Indiens du Penjab (sauf rares exceptions) et par les chauffards agressifs, puérils et dangereux, toujours prêts à nous jeter dans un fossé. Pendant que je suis dans les remerciements - style cérémonie des oscars - je tiens aussi à louer (dans le sens "louanges" bien sûr) les expatriés français de Delhi, notamment Christophe et Pierre, tous deux si accueillants. J'espère que vous me pardonnerez d'en dire si peu sur le plaisir qu'on a eu à vous rencontrer. Mais vraiment, j'écris de Pékin. Il faut que j'aille à l'essentiel.
L'essentiel. Bénarès.
J'oublie les 17 heures de train, l'arrivée dans une gare bondée, les cris des rickshaws et les odeurs de merde. Je traverse en vitesse la ville moderne, les klaxons, les boutiques, les vaches sacrées, la circulation indescriptible. J'arrive, Bénarès.
Gaudala, vieille ville, ruelles boueuses, façades décaties, émouvantes.
Je suis là, Varanasi. Je te vois, mother Ganga. Comme promis, je suis revenue.
Pour me poser.
J'oublie cette quête épuisante de l'hôtel. Finalement, je l'ai vite trouvée, ma chambre avec balcon sur le Gange. 70 roupis la nuit, soit moins de 10 FF français. Xav' et Eric sera content. (Les deux noms se mêlent dans ma tête. Eric lui-même ne sait plus s'il veut redevenir Xav'). Bref, comme dirait ma mère quand elle digresse, le bonheur peut s'installer. Je suis à Bénarès. Ma ville préférée après Paris.
Deux jeunes Françaises me proposent d'aller au cinéma voir le dernier succès Indien. Le film est excellent, sans ironie aucune. Rien à voir avec les scénarios indigents et les chorégraphies caricaturales de mes souvenirs. L'Inde a beaucoup changé depuis mon dernier passage en 97. Plus moderne, plus occidentale. Mais heureusement, elle reste l'INDE. Comme le prouvent les noms inimitables des échoppes : "GLORIOUS SERVICE TRAVEL AGENCY", "DECENT PHOTOLAB", NICE FOOD RESTAURANT"...
Crépuscule. Céline me dirige vers le fleuve pour la puja, la prière du soir. Une foule silencieuse prend les ghats d'assaut. Les ghats, ce sont ces marches de pierre qui disparaissent dans l'eau. Escaliers magiques, liens terrestres unissant les pèlerins à la déesse Ganga, la fille du dieu des neiges.Car le Gange n'est pas un fleuve, mais une déesse. Descendue du ciel pour laver les péchés des hommes.
Des clochettes teintent. Trois brahmanes font danser l'encens, le lait, le feu. Leurs gracieux mouvements circulaires précèdent ces offrandes au Fleuve. D'autres brahmanes chantent les prières rituelles, accompagnés par les percussions et les clochettes. Depuis 4000 ans, les Hindous parcourent tout le sous-continent indien pour venir ici, à Bénarès. Ecouter ces prières, se baigner dans l'eau rédemptrice, y noyer ses propres cendres. Depuis 4000 ans, cette ville tant de fois démolie et rasée, cette ville phoenix renaît dans un délire architectural poignant. L'INDE. BENARES. VARANASI.
Toute tension m'a quittée. Me voilà apaisée. Rechargée, heureuse, calme, sereine, lucide. Heureuse de me poser dans cette cité magique. Quelque chose d'animal me lie à Bénarès. C'est physique, je sens vraiment l'énergie revenir, par flux réguliers. Levée à 4h30 du matin pour précéder le soleil, souriante parce qu'il ne peut en être autrement, je ne me lasse pas d'être portée par le fleuve, sur ces barques bricolées. Chaque jour, l'atmosphère est totalement différente et totalement surprenante.
Ce soir, panne d'électricité : le ghat de crémation devient un théâtre d'ombre effrayant, avec ses silhouettes plus noires que le décor. Quelques bougies timides peuplent de lointaines fenêtres. Soupirs bruyants des brasiers. Cloches solitaires, terrifiantes.
Le lendemain soir, une lumière artificielle éclaire ce même ghat : hier, je ne distinguais que trois ombres traversant furtivement l'espace obscur. Aujourd'hui, un cortège bruyant descend les marches en portant une civière. Le cadavre est installé dans l'eau. Une femme défait la partie du sari couvrant la tête éteinte. Une tête d'un gris verdâtre, arrosée inlassablement d'eau sacrée. La famille chante, pas un pleur. Au dessus, les brasiers craquent. Ils brûlent 24h sur 24 sur ce ghat, mais il ne faut que trois heures pour qu'un homme redevienne poussière. Un autre cortège amène un autre cadavre. Les deux corps sont côte à côte dans leur mort rituelle. moulés dans leurs chatoyants saris humides. Nous sommes en face, à 5 mètres du ghat, mais personne ne semble nous voir. Les corps vont sécher sur les marches, inclinés, la tête vers les étoiles. Puis ils nourriront ces brasiers insatiables. Seuls les bébés, les lépreux, les femmes enceintes, les sadhus, les victimes piquées par des serpents et les animaux ne sont pas incinérés. Ils sont directement jetés dans le fleuve le plus sacré du monde... et l'un des plus pollués.
A propos de serpents, j'en vois trois glisser le long de notre barque. Des serpents d'eau suffisamment venimeux pour extirper ma main précipitamment. Raju (prononcer Radjou), notre adorable rameur, préfère retourner vers l'hôtel. Le spectacle de la mort nous rend silencieux.
Ce soir, je suis avec Paola et Michelle, respectivement Mexicaine et Suisse. Toutes deux jeunes, zen, heureuses d'être à Bénarès. Nous nous sommes rencontrées à un concert de musique classique indienne et depuis, on croirait un corps à trois têtes : nous sommes inséparables. Raju nous dépose un peu plus loin, nous désirons marcher. Une voix s'élève, soutenue par des percussions. Il s'agit d'un sadhu, un saint vivant de mendicité et consacrant sa vie aux prières, du moins en principe. Assis, le corps simplement vêtu d'un pagne orange, il chante ses dieux et nous offre ses états d'âme. Et c'est splendide. Que maîtrise-t-il le mieux? Sa voix ou son tambour ? Les deux. Derrière lui, c'est le vide, c'est le plein, c'est le Gange.
Malraux disait : "Chacun, ici en Inde, cherche l'union mystique aussi banalement qu'on cherche l'argent en Amérique." Il était à Bénarès lorsqu'il a prononcé ces paroles. Pèlerins sincères, faux saints, vraies crapules, brahmanes, lépreux, intouchables, millionnaires, artistes, analphabètes, tous se plongent dans l'eau sacrée en rêvant de ne plus naître à nouveau, d'atteindre le nirvana, de se fondre au cosmos. Les femmes, en revanche, prient pour se réincarner en hommes car une femme ne peut atteindre directement le nirvana. Sic.
A cette foule bigarrée s'ajoutent les immanquables vaches aux yeux de biches, les chèvres, les singes dressés pour voler à la tire, les chiens monstrueux, les enfants qui ne cessent de proposer "postcard, postcard...", leurs parents qui ne cessent d'hurler "boat madam, boat...", leurs grands-parents qui ne cessent de réclamer "money, one rupee backshish, money..."... et bien sûr le soleil qui ne cesse de se lever sur ce spectacle éternel. Spectacle des vies et des morts. J'adore Bénarès.
Xavieric arrive en milieu de semaine, avec trois jours de retard. Il découvre une autre cousine, calme, posée.Ca l'étonne d'autant plus qu'il n'a jamais été aussi stressé par un pays. Il DETESTE l'Inde. D'ailleurs, vous n'avez qu'à vérifier, sur la page de garde du site, il l'a mise en tout petit, par rapport aux autres pays. Pour l'apaiser, nous partons à l'International Music Center écouter un concert magnifique. Deux instruments, sitar et tablas, parviennent à créer des milliers d'émotions très codifiées. Ce raga là, par exemple, ne peut être joué qu'entre 20h et 21h, car il a été composé pour être entendu à ce moment là. Et aucun musicien (honnête), même grassement payé, n'accepterait de le jouer en plein jour.
Autre concert, dans un ashram de musique. Une famille de brahmanes y enseigne la musique depuis six générations. Les sons rebondissent sur les colonnes du temple et sur la statue d'une vache, peinte en rouge vif. Krishna (benaresraga.mp3 :Taille= 889 ko; Origine=Bénarès), l'un des 33 millions de dieux du panthéon hindou, jaillit dans le refrain.
Le temps s'accélère. Xavier repart pour Delhi afin d'envoyer les dernières pellicules et cassettes vidéo. Je reste cloîtrée dans ma chambre avec l'ordinateur, préparant le texte et les photos du Carnet de bord Pakistan. Evidemment, les transferts sur disquettes ne marchent pas, impossible d'envoyer le moindre fichier. Il faut maintenant foncer dans les ruelles obscures pour retrouver deux musiciens extraordinaires, qui ont accepté de m'offrir un concert privé à 1000 roupies. Ils auraient pu me demander dix fois plus, je n'aurais pas su refuser tellement leur musique, déjà entendue, m'avait fait vibrer. Ecoutez bien ce sitar : ce n'est plus un instrument, mais une femme. Et les percussions ? Entendez-vous le dialogue qui se noue ? (benaresraga.mp3 :Taille= 889 ko; Origine=Bénarès)
Retour à l'hôtel, nuit blanche sur l'ordinateur. A l'aube, la salle de bain est envahie par les sauterelles. Je me fracasse le coccyx sur le dallage glissant.
Meeeeeeeeeerde, mon train part dans une demi-heure. Un jeune homme accepte de m'aider à porter mes trois tonnes de bagages. Un sac lui glisse des mains. Celui qui contient l'ordinateur. Ouille ouille ouille, je verrai ça plus tard, là c'est sûr, je vais louper le train. Gare bondée. On m'indique vaguement le quai numéro 5. Sur place, personne ne confirme. Ou peut-être le quai numéro 6. Le stress revient au grand galop : si je rate ce train, je n'aurais pas l'avion pour la Mongolie. Quasi hystérique face aux chefs de gare amorphes, je finis par comprendre que le train a une heure de retard et qu'en principe, il va s'arrêter ici. Une fois dedans, le calvaire commence. Sept personnes par couchette, le reste dans le couloir. Je n'ai plus d'argent, rien à manger, pas d'eau minérale et il n'y a pas d'eau non plus dans les toilettes. Le coccyx me rappelle douloureusement qu'avant cette chute récente, il avait déjà été fracturé l'an dernier. Sale nuit.
Delhi.
Avec Xavier, on se raconte nos dernières galères. Lui aussi à de quoi se plaindre. En confirmant notre vol "Delhi- Hong kong - Pékin - Hohott - Oulan-Bator" (le moins cher), il a appris que la compagnie aérienne avait annulé ses vols, mais qu'on ne serait pas remboursés. Fou de rage, vu la rareté des vols à deux jours du départ, il a réussi in extremis à obtenir le même circuit par une autre compagnie. Sinon, on loupait le naadam d'été en Mongolie, ce fameux naadam qui nous a fait tant pédaler.
Nous n'avons plus qu'à sauvegarder sur disquette nos fichiers pour les envoyer avant de partir. Mais l'ordinateur refuse obstinément de se réveiller. Le porteur de Bénarès l'a tué. Oh non...
Aéroport de Delhi.
Une honte. C'est une honte, la signalisation routière de cet aéroport. Nous tournons en spirale pendant 3/4 d'heure. Pourtant, à vélo, on a le temps de voir les panneaux... si panneaux il y a.
Dans les toilettes de l'aéroport, nous enfilons tous nos habits les uns sur les autres et remplissons nos poches de tous les petits objets lourds, bourrons nos bagages à main, histoire d'alléger nos sacoches.Car en comptant les bicyclettes, nous avons chacun plus de 30 kilos supplémentaires et à 98 FF le kilo, le calcul est vite fait. Résultat, deux bibendums dégoulinants de sueur passent les rayons X en faisant tilter toutes les machines. Le douanier ne comprends pas ce qu'un boîtier de pédalier ou un jeu de clé allen vient faire dans nos poches. On doit peser 200 kilos à nous deux.
Hong kong.
L'aéroport ressemble à une immense surface commerciale. Nos yeux s'écarquillent. Des produits de bonne qualité ! La société de consommation nous revient en pleine face. Et il faut bien l'avouer, ce monde là, ce monde qu'on fuit depuis un an, c'est bien le nôtre. Et il nous plaît. Société de consommation, certes, mais après tout, le confort, c'est agréable. La propreté aussi. Par les immenses baies vitrées, nous voyons la partie méconnue d'Hong kong : ces jolies îles montagneuses et boisées qui émergent de l'eau bleue, comme des rochers géants.
Autre surprise : un personnel serviable parfaitement anglophone et compétent nous autorise à sortir dans la ville, puisque notre avion ne part que demain matin. Nous sommes comme des gamins au pied des gratte-ciel. Architecture verticale inhumaine mais tellement impressionnante... Dans les quartiers populaires, nous retrouvons l'ambiance de Blade Runner. Retour à l'aéroport pour dormir sur les banquettes, évidemment.
Lorsque l'avion s'élève, Hong kong prend l'apparence d'un circuit imprimé électronique. Deux minutes après le décollage, tous les hommes d'affaire dorment déjà.
Pékin - Hohhot.
Après le rutilant aéroport d'Hong kong, celui de Pékin nous paraît aussi austère que minuscule. Ces trois minables magasins, pour la capitale de 1,3 milliard d'individus ?
Dans le vol vers Hohhot, une violente crise de mal de ventre me plie en deux. Arrivée de nuit, dans ce mini aéroport. Je n'arrive pas à marcher. Nous sommes les derniers dans la salle d'attente et on nous demande poliment de partir chercher un hôtel. C'est au-dessus de mes forces. Des larmes de douleurs accompagnent mes propos lorsque je tente de l'expliquer à l'employé. D'une voix très douce, il nous demande d'où on vient et la liste des pays. Puis gentiment, il nous invite à dormir chez lui, à quelques pas d'ici. Après avoir demandé à sa femme si elle était d'accord. Son nom chinois étant imprononçable, notre hôte nous propose de l'appeler Gregory.
Comme tous les Chinois, Gregory et son épouse n'ont le droit d'avoir qu'un seul enfant. Ils comptent bien lui offrir toutes les chances de réussir. Leur petit appartement douillet est envahi par les jouets éducatifs. Dans la chambre du couple trône aussi un PC tout neuf. Dans leurs temps libres, ils s'initient à l'informatique en espérant trouver du travail à Pékin. L'un comme l'autre n'ont pas choisi de travailler dans un aéroport, ni de se retrouver à Hohott. Une fois de plus, nous réalisons notre chance et notre liberté. Au petit matin, des brioches nous attendent et Gregory nous propose d'utiliser Internet avant d'attraper notre vol pour Oulan-Bator.
Nous n'oublierons pas cet accueil. Déjà nous reviennent en mémoire les bons souvenirs de soirées imprévues, en Libye, en Turquie, en... Les visages manquent parfois de traits mais nous retrouvons toujours le parfum irremplaçable de l'hospitalité. Celui qui vaut tous les 5 étoiles de la terre.
Ce texte s'arrête là. La Mongolie, c'est vraiment une autre planète. Même l'arrivée à Oulan-Bator.
Vous verrez cela très prochainement. Enfin... euh, bientôt, quoi... Ah, n'oublions pas que le carnet de bord venimeux de Xavier est téléchargeable à partir de la page classique (cliquez sur RETOUR ci dessous).
kilométrage dans le pays, à vélo : 450
kilométrage dans le pays en car / pick-up / avion : 70+1800=1870
Total du kilométrage à vélo : 11450
Total du kilométrage en car / pick-up / avion : 11900
Détail :
Frontière - Amristsar - Ludhiana - New-Delhi (route sans AUCUN intérêt)
avec 450 km a vélo (c'est déjà trop), 70 en stop
Train en Inde : Delhi Bénarès Delhi : 1800 km aller-retour
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