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Carnet de route: ITALIE





16 août 1999:

La phrase de la semaine : Bisognare pedallare per vivere.
Xavier a bien fait d'installer des pupitres sur les vélos. Nous apprenons l'Italien avec une facilité déconcertante. Notre méthode Assimil (de 1960) regorge de phrases immédiatement utilisables dans les conversations quotidiennes, exemple : "Roma non fu fatta in un giorno". Ou encore, "L'aria e serena dopo la tempesta" (l'air est serein après la tempête). Dès la frontière, nous étions dans le bain : accumulation de façades décrépies, balcons colorés où le linge sèche doucement, cris d'enfants, brouhaha animé...
Nous avons longé la côte jusqu'à Genova. Bleu turquoise à droite, béton ocre à gauche. À Laiguglia, j'ai bien cru perdre Xavier, hypnotisé par une superbe blonde accueillante. Mais après une bonne platée de pasta al pomodoro (spaghetti sauce tomate, en français, c'est tout de suite moins pittoresque), la belle et sa fille de 13 ans se sont préparées per la discoteca et nous avons retrouvé nos tapis de sol pour nos traditionnelles nuits à la belle étoile. Côté douches, c'est facile : celles des plages le long de la côte, et nettoyage dans les fontaines en plaine.
Les réveils sont parfois pluvieux, souvent courbatus, toujours heureux. C'est vraiment un plaisir de pédaler en ayant un an devant nous. Seul point noir : désormais, nous ne pouvons plus quitter les vélos des yeux. Samedi matin, des rôdeurs les regardaient d'un peu trop près. Comme par hasard, une camionnette s'est garée juste à côté. Nous avons donc repoussé l'écriture des mails à plus tard et rangé l'ordinateur. Xavier avait même sorti la matraque électrique, l'Arme Absolue du voyage.

Demain soir, nous devrions arriver à Firenze, Florence. Les collines de Toscane nous attendent. Oui, c'est promis Xav', je ne me plaindrai pas (trop) si cela monte.
Andiamo !

18 août 1999:

Che bella Firenze... À 6h00 du matin, nous étions piazzale Michelangelo pour voir l'aube se lever sur Florence. Lumière dorée, brumes effilochées, le Ponte Vecchio sans ses cars de Japonais, tout cela valait bien le sacrifice du réveil... Nous resterions bien quelques semaines ici, d'autant plus que Catarina et Paula nous accueillent dans leur loft au coeur de la vieille ville. Julie Sibony reconnaîtra Davide, parti ce matin pour le Canada et toujours aussi adorable.
Mais un sens aigu du devoir nous remet en selle, direction Siena e Roma.

"Che ? Viene de Parigi in bici ? Va a Pekino ? Madona !"

22 août 1999:

Oui, on serait bien restés quelques semaines à Florence, mais Rome nous appelle.
"Ciaos" émus à Paula et Caterina, qui nous ont traités avec tant de gentillesse... et qui nous préparent déjà un point de chute à Rome. Merci encore les filles...
Jusque Sienne, il n'y a presque que de la descente: la Toscane verdoyante, aux reflets cendrés, sent délicieusement bon. La route serpente entre les villages fortifiés, désormais assiégés par les touristes. San Giminano vaut quand même largement le détour, et à San Quirico d'Orcia, il y aura toujours un chapelet de petits vieux assis sur un banc pour vous regarder passer en hochant la tête.
Nous ne nous pouvons malheureusement pas nous attarder à Sienne, mais nous prenons quelques heures pour savourer ses ruelles en pente, sa piazza, ses escaliers, ses fresques et ses statues... Le moindre recoin nous retient.
La nuit tombe et nos paupières aussi. Comme tous les soirs, il nous faut trouver un coin de nature à l'abri du vol. Nous avons la chance d'aimer tous les deux ne jamais savoir où on dormira, mais près des villes, c'est toujours plus dur. À grand peine, nous abattons l'immense rempart de méfiance d'une vieille dame, qui accepte de nous laisser dormir dans son jardin. Douche au tuyau d'arrosage, dîner original (triquotidien sandwich tomates-pain-mayonnaise dont Xavier ne se lasse pas mais qui commence à écoeurer sérieusement Isabelle), il ne nous reste qu'à fermer les yeux sous un ciel étoilé et paisible.

Une muraille de montagnes protège le Lago di Vico : trois heures à 6km/h pour quelques minutes à 60 km/h. On la déguste, notre baignade... Filippo vient admirer nos beaux vélos sur la rive. Débraillé, jovial, "un oeil qui dit merde à l'autre", Filippo, c'est l'Italien expansif dans toute sa splendeur. Conversation sans fin en hispano-franco-italien : il nous invite à rendre visite à sa ferme, nourrir ses cochons, nous laver au tuyau d'arrosage, dîner chez lui, prendre un café buonissimo et enfin, dormir.

Roma:

Les chemins qui mènent à Rome ressemblent plutôt à une autoroute, scooters en plus. De nuit, c'est franchement effrayant, mais il paraît qu'au Caire ce sera bien pire. Gloups...

Piazza del Popolo, Via del Corso, Piazza di Spagna, nous voilà dans les plus beaux quartiers de Rome, attendus... à la Villa Médicis.
Marion (historienne d'art) et Thierry (compositeur) proposent de garder nos vélos dans leur atelier d'artiste pendant notre séjour à Rome. Spontanément, ils nous laissent passer la nuit à côté de nos montures... Ca, c'est le miracle de notre voyage: après les nuits au coeur de Florence, nous bénéficions de 2 jours dans un des cadres les plus magiques de Rome. Les plongeons dans la piscine de la Villa Medicis, les promenades dans ces allées enchanteresses bordées de statues, l'ambiance même de cette résidence pour artistes resteront ancrées longtemps dans nos mémoires.

Le réseau de musiciens fonctionne bien lui aussi : sur les conseils de Thierry, nous appelons Daniela Attanasio (poête), qui nous recommande Francesca Ferri... Et nous trouvons exactement ce que nous cherchions : Francesca et sa troupe O-Thiasos-TeatroNatura produisent un spectacle de musiques vocales traditionnelles (fichier MP3, 976 KB), religieuses et profanes dans le cadre sauvage du Parco de Pineto, à quelques pas du Vatican.
En fait, nous sommes d'autant plus heureux que les musiques rituelles Italiennes ne se chantent qu'une fois par an, et si on n'est pas au bon endroit au bon moment, il faut revenir l'année suivante. Pas pratique de prévoir des dates fixes quand on fait Paris-Pékin à vélo...
En plus, la mise en scène dépouillée de Sista Bramini et la simplicité touchante des costumes (dessinés par Birgit Androschin) rendent les musiques encore plus poignantes... et les images franchement esthétiques.
Nous retournons euphoriques à la Villa Médicis, où les surprises musicales continuent : Thierry Machuel (fichier MP3, 944 KB) nous fait goûter l'une de ses compositions vocales, tellement puissante que nous avons décidé de la mettre également sur le site.

Histoire de ne pas faire les parasites trop longtemps, nous quittons la Villa Médicis pour le sud de Rome oł nous attendent Laura et sa famille (contactés via David, via Paula et Caterina).
Un bon conseil : quitter Rome par la Via Appia Antica. Elle est déserte, pavée, bordée d'arbres et de maisons anciennes et, surtout, silencieuse. Un vrai bonheur.

Pendant les deux jours délicieux que nous passons chez eux, Laura, ses parents, son frère et ses amis nous accueillent avec une gentillesse qui dépasse l'entendement. Connection internet quasi illimitée, fleurs de courgettes farcies, panier de croissants pour le petit déj', nous sommes vraiment des enfants gâtés...

Vendredi 27 août 1999:

Après quelques heures de travail sur internet, les guidons pointent vers le Sud-Ouest : direction Napoli, que nous atteindrons probablement mardi 31 août. Quatre jours pour 250 km, c'est beaucoup mais cela s'explique très bien : entre la compression des musiques à mettre sur le site, le derushage des cassettes videos, le traitement de la montagne d'informations et les kms à vélo, nous commençons à nous rendre compte que les vacances sont loin. Donc, si quelqu'un nous envie de pédaler comme des forcenés avant de nous installer en face de l'ordinateur, sachez qu'on a à peine le temps de plonger trois fois par jour dans la mer, et qu'on se réveille rarement après 9h du matin. Dur, non ?

Napoli, 1er septembre:

Ruelles étroites, cordes à linge qui pendent d'une maison à l'autre, gamins qui bondissent en piaillant, vieillards qui prennent le frais dans la rue, assis sur leur fauteuil rapiécé... La vieille ville sent l'ail et la poussière remuée.
Quelques mètres plus loin, dans une avenue éclaboussée de soleil, la circulation vous happe en une seconde. Taxis et scooters empruntent la voie des tramways, les feux sont parfois respectés, même chose pour les sens interdits. On suit le flot comme un bouchon de liège dans un torrent. Bordélique, surannée, altière, emplie de vie et d'odeurs, Naples a quelque chose d'oriental. Nous sommes totalement conquis par cette ville. Quel bonheur de voir des flics acheter des cigarettes de contrebande aux immigrés clandestins...
Derrière la Piazza Carità, nous entrons par curiosité dans un palais du XVIIème, gorgé de moulures et de sculptures. Tiziana, 24 ans, y a un petit studio au 1er étage. Est-ce le charme ravageur de Xavier ? Le soir même, après avoir tranquillement flâné dans les vieux quartiers, nous passons une bonne partie de la nuit à discuter philo avec Tiziana. La veille, c'est un policier qui nous a hébergés en nous gavant de pizza (d'ailleurs, on dit "pizze" au pluriel). Il nous avait trouvés dans une station service, en train de réparer le 3ème pneu crevé du voyage.

E dopo Napoli ? Pompei, Salerno e S18 direzione Sicilia. Route pas très passionnante, beaucoup de béton, la voie ferrée qui longe la mer, des odeurs de charogne... Incroyable, le nombre de chats écrasés sur les routes, dans ce pays. A 6km/h dans les montées, nous sommes bien placés pour avoir ces odeurs de pourriture macérée coincées dans les narines. Une brise chaude venue d'Afrique finit par les effacer, puis vient l'odeur sucrée des figues. Elles sont mûres à souhait, nous avons dû en avaler dix kilos en une semaine. Sans parler des mûres, dont la simple vue nous donne maintenant envie de vomir.
Régulièrement, je vois un vélo rouge à côté d'une décharge : j'te promets, j'en ai pour 2 minutes...Xav' dépiaute une machine à laver ou une cuisinière à gaz éventrée pour en extraire "Les" boulons ou "Les" ressorts absolument indispensables au futur chargeur d'accus hypra léger. Avec tous ces arrêts, nous pédalons rarement plus de 5 heures par jour, une petite centaine de kilomètres en moyenne.
La mer a retrouvé ses bleus profonds et ses turquoises lumineux. J'ai finalement jeté ma montre au fond des sacoches. Le stress accumulé ces six derniers mois commence à disparaître. Mine de rien, il faut du temps pour Carpe Diem...

kilométrage en Italie à vélo: 1536 --- kilométrage en Italie en car / pick-up / avion: zéro zéro zéro zéro --- Total du kilométrage à vélo: 2984 --- Total du kilométrage en car / pick-up / avion: zéro zéro zéro zéro ---


Heure de pointe en Sicile.

Pour embarquer vers la Sicile, un garagiste (chez qui Xav' a fini par dénicher tous ses écrous) nous a donné le bon filon : les navires "Caronte" prennent les cyclistes gratuitement et partent tous les 1/4 d'heures. Et à Messine, la mairie offre un accès internet gratuit à qui veut. Elle est pas belle, la vie ?

11 septembre, Caronia
(110 km au nord de Palerme):


Quelques mètres devant moi, je vois Xav' tituber sur le bas-côté avant de s'affaler comme une crêpe. Son vélo est couché par terre avec les sacoches dispersées : Accident.
Carabinieri, badauds, témoins, personne ne parle un mot d'anglais, ni de français évidemment. Avant de monter dans l'ambulance, Xav' me lance : "appelle Europ Assistance, mais ne leur parle surtout pas de rapatriement". Ouf, il va bien. Le conducteur de la voiture reconnaît ses torts, constat en bonne et due forme, tutto in italiano.
Antonella, qui vit dans une ferme voisine, héberge les vélos et m'emmène chercher un Xavouille souriant. Cinq points de suture, blessures bénignes, quelques douleurs au cou, nous avons évité le pire. Le vélo n'a presque rien, normal, c'est un Rando-Cycles.
Antonella et sa famille nous gardent pour le week-end. Tous se mettent en quatre pour nous aider, nous choyer, nous offrir le meilleur de l'accueil sicilien. Siamo due "enfants gâtés" per la vita. Ils nous aident à préparer la rencontre avec l'assureur, à Palerme. Le père, paysan borgne aussi taciturne qu'adorable, nous donne un conseil précieux "Ti tocchi il collo e dici que te fa mal". Quinze fois pendant le repas, il mime la scène, avec une voix d'agonisant "me fa mal, me fa mal" (Voix normale) "Capite ? Di, me fa mal".

13 septembre, Palerme, chez l'assureur du chauffard.

Nous avons monté les deux vélos dans les bureaux de Meie Insecurazione, bien décidés à ne lever le siège qu'avec nos dédommagements. En face de nous, l'assureur (un requin) commence à perdre patience. Conversation âpre en italien, nous multiplions les "non capisco" quand ses arrangements ne nous arrangent pas. Stratégie payante, nous quittons Palerme avec un chèque de deux millions. Bon d'accord, 1000 lires valent moins que 4 francs, mais tout de même, nous sommes bimillionnaires. Xav' conserve de légères douleurs au cou. Les raideurs commencent à disparaître.

Cet accident nous a prouvé que le voyage ne tient qu'à un fil, mais ce fil à l'air bien solide. Il nous a fallu trois jours pour tout arranger, et nous reprenons la route sur nos solides destriers, décidés à ne prendre que le meilleur dans tout ce qui nous arrive. La Tunisie est à deux jours de pédalage et dix heures de bateau. Une armée d'anges gardiens nous protège. Bientôt, nos phrases seront ponctuées d'inch'Allah.
Tutto va bene !!!



Le petit mot de Xav':

kilométrage en Sicile à vélo:251 --- kilométrage en Sicile en car / pick-up / avion: 117 dont: bateau: Italie-Sicile: 11 km --- Total du kilométrage à vélo: 3237 --- Total du kilométrage en car / pick-up / avion: 117


L'Italie en chiffres :
- 1820 km (3400 depuis le départ)
- 23 jours de pédalage, 14 jours à bosser,
- 11 kg de mayonnaise, 56 kg de pain, 40 kg de tomates, 74 gelati,
- 5 points de suture,
- 20 nuits à la belle étoile, 3 nuits sous la tente, 13 chez l'habitant,
- 14 arrêts près des décharges pour récupérer des boulons, ressorts, ou autres morceaux indispensables à mes bricolages
- 0 grosse engueulade, beaucoup de petites (cf ci-dessus notamment)
- 19 belles rencontres,
- 17 kilos de figues et de mûres sauvages (estimation),
Il reste une figue la-haut... - 1 chien pendant deux jours,
- 11 heures de bateau pour la Tunisie.

aaaahhhh, la Tunisie...


Allez, un petit mail pour la route...
e-Mail de xavier

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